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Pierre Establet - Volutes Management

Sans projet collectif : le repli identitaire s'amplifie

9 Septembre 2019 , Rédigé par Pierre Establet

Un juste parmi les justes, dont le portrait a été lacéré par un de ces représentants antisémites qui condamnent la raison.

Un juste parmi les justes, dont le portrait a été lacéré par un de ces représentants antisémites qui condamnent la raison.

J'avais publié cette tribune dans le Nouvel Obs en 2013. 6 ans après, nos leaders d'opinion(s), dirigeants politiques, intellectuels, militants associatifs, humanistes et engagés sont toujours en quête d'une nouvelle référence collective. Un projet de vie. Ecologiste, social, humaniste, conquérant de nouveaux droits et bienveillant. Mais les egos sont là et face à ces egos, qui gagne ? Bolsonaro, Salvini, Orban, Trump, Jonhson,... Des populistes à courte vue. De dangereux apprentis sorciers. En face d'eux des technocrates, des gestionnaires, des banquiers.

 

Et les enjeux s'amplifient avec le changement climatique, la captation par une toute petite minorité de l'ensemble des richesses de la planète, la faible redistribution de ces richesses vers ceux qui en ont besoin. Les réponses sont des murs : En béton, en indifférence, en repli sur soi. 

Ces murs ne tiendront pas, mais à quel prix ? Combien de corps jonchent le fond de notre Méditerranée ? Combien au Soudan, au Sahel, en Erytrhée ? 

 

Au premier des séismes qui ont ensanglanté le monde durant presque 50 ans, notre arrière-grand-père paternel, italien, donnait sa vie pour la France. Il fuyait la misère italienne et laissait notre grand-mère, à cinq ans, être recueillie par son grand-père, anglais. 

 

À quatorze ans, cette toute jeune fille trouva son salut chez Simca, comme secrétaire, puis dans sa rencontre avec notre grand-père, mis à la porte à 14 ans de sa ferme des Basses-Alpes par son capitaine de père, qui préférait la bagatelle à la responsabilité. C’était le début des Guerres.

 

Les destins croisés de mes deux grand-pères

 

Durant la première des deux, un de nos arrière-grand-pères maternels recueillait dans sa ferme du Vaucluse, à 50 kilomètres de Carpentras, un prisonnier allemand, qui ainsi put rentrer chez lui, vivant et heureux, à la fin.

 

Durant celle qui suivit, le fils de cet aïeul, capturé par les Allemands, était à son tour accueilli dans la famille de cet ancien pensionnaire. Et libéré vivant et heureux. Sans haine. Ils auraient tout deux pu illustrer les vers de Brassens.

 

Après cette guerre, notre grand-père paternel, résistant, militant de gauche, même pas titulaire de son certificat d’étude, rentrera comme commis à l’hôpital de Nice. À Nice, où il résistait, sans le savoir, aux côtés de notre grand-père maternel, de droite.

 

Le grand-père paternel prendra sa retraite comme directeur de l’hôpital de Montluçon, à 50 kilomètres de Michelin, qui embauchait à tour de bras des travailleurs turcs, contre des promesses jamais tenues.

 

Notre autre grand-père, fils de négociant en matériaux du Vaucluse, devenu pharmacien, n’eut pas le temps de profiter de la retraite : il mourût d’une crise cardiaque, à 68 ans, en achetant une pièce de monnaie ancienne, grecque, à 50 kilomètres de Toulon.

 

Une famille où les étrangers sont des hôtes

 

Aujourd’hui, cent ans plus tard, nos parents, filles et fils de ces ancêtres, devenus dentiste, ingénieurs, chercheur, professeurs, sont toujours habités par l’accueil, l’écoute, la rencontre et le partage. Leurs enfants, nous, issus du mélange de pays aux frontières récentes, sont mariés à d’autres enfants du monde.

 

Leurs dix-sept petits enfants, nos enfants, sont donc français ; en même temps que russe, norvégien, irlandais, écossais, espagnol, ukrainien, américain, algérien, pieds noirs ; et même recomposés, avec des enfants issus du Maroc, de Syrie, d’Allemagne ; et même bretons, corses, provençaux et parisiens ! Et aujourd’hui retraités, les nouveaux grands-parents regardent fièrement tout ce monde, à 50 kilomètres de Vitrolles.

 

Les familles de nos aïeux mélangèrent leurs passions, leurs croyances, leur vie, leurs opinions, changeantes, parfois avec force coups de gueule, surtout pendant l’époque cruciale où la décolonisation associée à la consommation de vins locaux rythmaient les repas familiaux.

 

Oui, les adultes se disputaient, mais les différences étaient des forces, et les étrangers des hôtes. Hôtes économiques, intellectuels, militaires, familiaux. Ca gueulait, mais ça riait tout autant.

 

Le rappel douloureux de l'histoire du XXe siècle

 

L’identité française s’est forgée dans ce creuset-là. Et quand notre grand oncle, plus vieux maire de France, élu le plus longtemps, prenait la parole, c’était toujours pour trouver une solution, jamais pour désigner un bouc émissaire. Il avait connu toutes les guerres, et il est mort après avoir mené sa dernière contre un incendie, pour défendre son village, à 93 ans. Il était élu d’un village du Var, à 50 kilomètres de Brignoles.

 

Il était né l’année où Lucien Herr, bibliothécaire de l’École normale supérieure, mettait la France en garde contre les excès de la doctrine social-démocrate russe à tendance bolchevique, et celle, nationaliste allemande, qui préfigurait, dès 1870, les futures boucheries du XXe siècle. Lucien Herr, avait compris que face aux social-démocraties sans projet, les extrémismes doctrinaires finiraient par s’imposer et par ensanglanter l’Europe.

 

C’est pourquoi son combat fut de convaincre Jaurès, Zola, Blum, Peguy, Clémenceau, de montrer une autre voie, celle d’une gauche de conquêtes, républicaine et laïque, déterminée à faire de l’humanisme et du lien social ses axes politiques.

 

Hélas, Lucien Herr ne fut prophète qu’en son pays : l’Allemagne et la Russie allaient devenir les axes d’un mal qui fit plusieurs centaines de millions de morts, avec des armes pourtant conventionnelles, durant la première partie du siècle dernier.

 

Sortir de l'ignorance, ouvrir de nouvelles conquêtes

 

Cent ans plus tard, aujourd’hui, nos vieilles démocraties européennes, exclusivement gestionnaires, forgent les nouvelles armes de destructions massives, mises entre les mains des populistes de droite et de gauche qui prospèrent en Europe, les uns stigmatisant les étrangers (à quoi ?) et les autres cherchant dans de vaines références passéistes un espoir sans espoir.

 

Alors, aujourd’hui, cent ans après, il est temps de sortir de l’ignorance et de comprendre, et de montrer, la chance que nos aïeux ont eu, dans une Europe exsangue, d’être différents, donc complémentaires.

 

Oui, il est temps d’ouvrir de nouvelles conquêtes, humanistes, sociales, solidaires, transculturelles, laïques, internationales et bienveillantes. Car c’est ainsi qu’on mettra fin à la propagation galopante du racisme ordinaire, qui irrigue et contamine, chaque jour davantage, notre société en quête de repères.

 

Sinon, notre arrière-grand-père aura donné sa vie pour rien, à 50 kilomètres de la Ligue du Nord.

 

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En mémoire de Papi Henry, Mamie France, Papi Aimé et Mamie Yvonne, Tonton Marco et Tonton Maurice, nés il y a un siècle, qui ont connu les pires horreurs sans perdre l’espoir, l’enthousiasme et l’amour des autres. Et à Emmanuelle, Nora, Veïss, Fannie, Simon, Alice, Lylia, Maroussia, Louise, Chiara Maria, Flora, Valentine, Lucia, Souad, Séraphine, Mathew, et Nina, nos enfants, pour que nous leur léguions un monde joyeux, libre et fraternel.

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